La Loi de Illich, avec la loi de Douglas ou celle de Pareto, est souvent citée parmi les fameuses « lois générales du temps au travail ». On la réduit parfois à la nécessité de prendre des pauses au travail. Mais la pensée d’Ivan Illich, qui a donné son nom à cette loi, va beaucoup plus loin dans la subversion.
Ivan Illich, un ex-curé inclassable
Illich est un peu l’anti-Stakhanoviste. Un révolutionnaire aussi, comme son quasi-homonyme Vladimir. Mais surtout un critique de la société industrielle. Un penseur autrichien, qui passa une partie de sa vie dans une cabane perdue au fin fond du Mexique à construire une oeuvre inclassable, après avoir été un temps curé de l’église catholique. Un universitaire polyglotte, célèbre dans les années 70 pour ses travaux sur l’éducation, l’écologie, la santé et… la productivité. Ou plutôt la contre-productivité des sociétés industrielles. Reprenant les thèses des économistes classiques comme Turgot sur la loi des rendements décroissants, Illich affirme que dès qu’une formule qui marche est appliquée, elle finit par être contre-productive, au-delà d’un certain seuil.
Travailler pendant la pause de midi est contre-productif
Par exemple, espérer doubler la production de blé en doublant le travail agricole est un leurre. Et en entreprise mettre la pression sur les ouvriers, les stresser et intensifier les cadences, conduit à l’inverse de l’effet souhaité. C’est contre-productif. D’où l’idée de la pause. Au-delà de 45 minutes, on ne serait plus efficace, continuer de travailler ne servirait à rien. Mieux vaut alors faire une pause.
Idem pour la pause du midi au travail : travailler alors qu’on devrait se reposer ou se restaurer donne l’illusion d’être efficace mais c’est le contraire qui se passe. Tout le monde peut le vérifier en fin de journée.
Ne pas dépasser un certain seuil…
Dans l’interprétation de cette loi par les spécialistes du management, on en profite aussi pour critiquer le multitasking. L’éparpillement serait néfaste au travail et la Loi d’Illich sert d’argument en faveur d’une concentration, d’une attention hyper-productive du travailleur. Difficile de dire si Ivan Illich se serait reconnu dans l’utilisation de sa pensée dans ce sens : on cite son nom pour justifier de la durée limite d’une réunion. « Pas plus d’une heure, car au-delà l’attention des participants baisse et plus rien de constructif ne sort de l’assemblée ! C’est pas moi qui le dit c’est la Loi de Illich ! » dixit un manager ayant préféré garder l’anonymat. On le vénère sans le connaître pour arguer qu’il faut adapter les tâches selon le rythme de la journée…
Mais Illich était surtout le penseur avant-gardiste de la décroissance et son modèle de société, fondé sur la convivialité, était bien plus radicale que la simple idée d’une pause-café.